Est-il convenable aujourd'hui de se dire hanté par une chose aussi abstraite que ...
les muses ? sans paraître fou ?
Faites donc l'expérience.
D'ailleurs, la muse a-t-elle encore une signification aujourd'hui, à l'heure
de ces vagues et vains espaces dédiés aux esseulé(e)s du monde entier que sont Tweeter et Facebook ?
Cette personnification de l'inspiration qui impose aux artistes l'expression
de leurs hantises, de leurs rêves et de leurs cauchemars n'a jamais disparu.
Depuis l'aube des temps, jusqu'à la Grèce Antique qui lui donna ses lettres de noblesse, cette entité vague et imprécise a autant été célébrée par Charles Baudelaire
que par Serge Gainsbourg.
Comment expliquer autrement que par sa divine existence ces réveils en pleine nuit, cette dictée presque mécanique d'alexandrins ?
Comment expliquer ces chansons venues de nulle part qui apparaissent brutalement alors que l'on est plongé dans une activité qui n'a rien à voir avec l'art ?
Cette intrusion enfin dans les zones conscientes de l'humain,
comme un violent orage ? Et vous vous retrouvez rapidement sous des centaines
de pages, des dizaines de chansons, de photographies, que sais-je encore ?
Racontez cela à vos semblables, empêtrés dans leurs problèmes de loyer,
de vernis à ongle ou de voiture de sport (à la mesure de leurs moyens) et vous êtes certain de passer pour un excentrique (au mieux), d'un type (ou d'une femme) totalement jeté (au pire). Ce qui finalement ne fera aucune différence.
"People are strange" chantait Jim Morrison, qui n'était certes pas le dernier
à être visité par les muses. Elles vous éloignent du commun des mortels...
Elles vous imposent leur propre volonté, peut-être pour faire resurgir une oeuvre ancrée dans la vie même depuis la naissance, comme le supposait
le poète Jean Cocteau.
Certainement une bonne intention, mais peu charitable.
On ne s'invite pas ainsi chez les gens sans prévenir ! La Muse, oui.
On ne franchit pas le seuil de la conscience sans demander l'autorisation. La Muse oui.
On n'empêche pas les gens de dormir. La Muse, oui.
On n'impose pas l'accomplissement immédiat d'une action, quelle que soit l'heure et le lieu.
La Muse, oui.
On ne règne pas ainsi impérieusement sur la vie, les rêves et la mort d'un être humain.
La Muse, oui.
La Muse est tyrannique.
Non satisfaite d'avoir exercé l'empire de sa passion, elle exige ensuite des résultats !
Si personne ne contemple l'oeuvre dont elle s'estime l'auteur, elle pleure, elle crie,
elle griffe jusqu'au sang. La muse est capricieuse.
Elle infligera à l'artiste mille maux, dont elle seule a le secret, depuis l'acte de contrition, de repentance, de mutilation, de destruction, de reniement.
Tout est bon pour sa Gloire et son vecteur est l'artiste qu'elle épuisera jusque dans sa tombe.
La Beauté
Julian Kazte
En ses grands yeux mi-clos navigue le mystère
De l’idole païenne : son emprise est d’airain
Tu voudrais en recevoir le baiser amer
Tes soupirs se perdront dans un espoir lointain
Mystique beauté aux larges ailes célestes
Tu échappes toujours au poète rêveur
Son amour est sincère et son destin, funeste
Ton sein ne lui ouvrira jamais sa ferveur
Recluse en une Olympe à l’éternel printemps
Tes éthers sont purs et traversés de rayons :
Messagers nacrés de tes roides soupirants
Dont l’âme se consume en vaine passion
Tu naquis jadis en un vaste paradis
Ta fière splendeur est marine et aérienne !
Promeneuse du soir tu te rends là où gît
Le poète, le fou, qui voulait te faire sienne