Il a toujours voulu être un poète ... On le connait bien sûr surtout pour son rôle de chanteur, mais il est l'auteur de nombreux poèmes.
En voici, extrait du recueil Wilderness :
The night is young
and full of rest
I can't describe the way she's dress'd
She'll pander to some strange
requests
Anything that you suggest
Anything to please her guest
(Open)
La nuit est jeune
et pleine de repos
Je ne peux décrire
la façon dont elle est vêtue
Elle se prêtera
à d'étrange exigences
Tout ce que vous proposerez
Tout pour faire plaisir à son invité.
Pour conclure cet hommage, voici l'extrait d'un article intitulé
"Les poètes maudits, l'absinthe et Jim Morrison" dont je suis l'auteur et dont je diffuserai peut-être la version complète un jour.
Le destin rêvé de Jim Morrison
Jim Morrison, qui admirait Arthur Rimbaud et Antonin Artaud, a suivi une trajectoire digne de celle d'un poète maudit du XIXème siècle.
Romantique ("Blue Sunday", "Love Street", "Orange County Suite"...), volontiers abscons et novateur (la poésie de "The Lords and the New Creatures" ou de "Wilderness"n'a pas encore livré tous ses secrets), Jim Morrison éprouva la même frustration que les poètes maudits du XIXème siècle. Celle de voir son œuvre la plus personnelle ignorée de son vivant. Aujourd'hui encore, ses poèmes sont très peu lus et compris.
Reconnu et adulé pour ses chansons et sa présence sur scène, il souffrait probablement de voir ses textes et aphorismes occultés par son aura de rock star. Alors, certains de ses poèmes constituaient la majeur partie des paroles du groupe The Doors dont il a lui même choisi le nom en référence à une phrase de Aldous Huxley : "Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est : infinie".
Il publiera à compte d'auteur "The Lords, notes on a vision" édité à 100 exemplaires en 1969, puis grâce au poète Michael Mc Clure qui le recommandera à l'éditeur Simon & Schuster, "The Lords and the new creatures" en 1970. Ces livres passèrent inaperçus du vivant de Jim Morrison, malgré l'originalité de sa poésie, et surtout, son usage étonnant des allitérations, des assonances et ses tentatives d'éclatement du langage qui rappellent le style de Mallarmé ou de Tristan Corbière...
Morrison multiplia les excentricités (concerts en état d'ivresse, rodéos sauvages dans des voitures qui finissent accidentées, escalade de façades d'hôtels, saccages de studio d'enregistrement, destruction de machines à écrire à coup de hache d'incendie dans les bureaux du label Elektra... entre autres). Un comportement imprévisible, comme celui d'Alfred Jarry qui pouvait tout à coup se mettre à tirer au revolver sans prévenir.
Le contact avec le public s'avéra décevant pour Jim Morrison (il le traita même de tas d'esclaves, de tas d'idiots durant le concert de Miami) : le plaisir de se produire sur scène sembla diminuer, comme en atteste certaines prestations durant lesquelles il cessait tout simplement de chanter. La frustration de ne pas voir son statut de poète reconnu, masquée par la notoriété des Doors, fut énorme. L'idolâtrie des groupies (Jim Morrison leur reprochait de ne pas assez penser par eux-mêmes) semblait le déranger et fut certainement à l'origine de sa transformation : il déforma son physique attractif en prenant plusieurs dizaines de kilos et en se laissant pousser la barbe.
La consommation d'alcool s'intensifia et détruisit sa santé bien plus rapidement qu'il ne devait l'imaginer.
Comme Rimbaud et Germain Nouveau, il pense peut-être pouvoir démarrer sa carrière de poète et de cinéaste en rompant avec une vie qui ne le rend pas heureux, en s'évadant. Il s'installe donc à Paris en 1970 avec sa compagne pour fuir un procès pour outrages aux bonnes moeurs, mais il est déjà trop tard. Une infection pulmonaire s'est certainement installée, l'œsophage et l'estomac sont ravagés au point qu'il crache parfois du sang. Un symptôme classique de mauvaise santé des voies digestives chez les jeunes alcooliques qui, en principe, doit conduire à une abstinence totale.
Il faudrait certainement l'hospitaliser pour lui permettre de vivre quelques années de plus. Mais il préfère continuer à boire et à ne pas se soigner, alors qu'un médecin de l'hôpital américain de Neuilly l'a examiné et lui a demandé de cesser immédiatement toute consommation d'alcool et de cigarette : "Arrêt complet et définitif".
Il n'en tient pas compte, il est devenu l'esclave de l'alcool et commence vraisemblablement à consommer de la cocaïne alors qu'il n'approuvait pas jusqu'à présent l'usage d'héroïne de sa compagne, Pamela Courson. Il ne boit plus pour échapper à une image qu'il abhorre, pour explorer d'autres états de conscience, ou pour expérimenter "un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens" cher à Rimbaud, mais par habitude. A l'image des poètes français d'antan, il est devenu un fonctionnaire de l'alcoolisme.
Comme Edouard Dubus qui additionnait la morphine à l'absinthe, la consommation d'alcool est devenue chez Jim Morrison impossible à stopper, compulsive, et se double vraisemblablement de prises de stupéfiants. Sa volonté toute entière est sous l'emprise des spiritueux qui consument ses forces.
Il continue cependant à noircir de nombreux carnets de notes de pensées, de poèmes et d'aphorismes... Qu'il oublie parfois chez des amis. Il ne cherche même pas à les récupérer. Il continue à se promener dans Paris, voyage en Espagne et au Maroc avec sa compagne Pamela Courson, visite l'île de France, toujours intéressé par l'art, parfois guidé par son ami Alain Rosnay.
Personne autour de lui ne semble le remettre sur le droit chemin et assiste, sans mot dire, à sa mort lente. On regardait jadis Alfred de Musset descendre le lent escalier de la déchéance à l'Académie Française sans rien lui objecter. Musset manquait beaucoup de séances académiques. « En vérité, dit un jour à M. Villemain, un des quarante, ne trouvez-vous point qu’Alfred de Musset s’absente un peu trop ? – Vous voulez dire qu'il s’absinthe un peu trop. ».
Jim Morrison s'éteint finalement quatre mois après être arrivé à Paris, d'une manière non élucidée aujourd'hui, sous l'œil médusé de ses amis.
Cependant, les détails de ses dernières heures données par sa compagne dans le rapport de police de juillet 1970 et le témoignage de Alain Rosnay, qui est resté avec Jim Morrison pour sa dernière journée évoquent la récurrence d'accès de toux, de crachats et de vomissement sanglants, de hoquets ("Reste l'absinthe et ses hoquets" comme l'a écrit Charles Cros dans son poème absinthé "Lendemain")... Sa santé ne semblait tenir qu'à un fil, ses jours étaient comptés, surtout sans aucun soin médical.
Si l'absinthe avait été légale, le destin de Jim Morrison aurait-il été différent ? Il consommait du Chivas (dont il but une bouteille entière lors d'un petit déjeuner à Paris en 1970), Whisky et Cognac dans des proportions qui défient l'entendement.
Quoi qu'il en soit et bien qu'il n'ait jamais vraiment connu la misère, son état d'esprit et sa créativité étaient certainement similaires à celles de nos poètes maudits français : du talent avant-gardiste pur et brut, ignoré par un public non préparé, non averti.
Les œuvres de Lautréamont, Tristan Corbière ou Charles Cros durent attendre l'avènement du surréalisme pour être tirées de l'oubli. Celles de Jim Morrison attendent encore leur heure de gloire. Quant aux œuvres d'Albert Glatigny ou d'Edouard Dubus, elles n'ont tout simplement jamais été rééditées depuis plus d'un siècle.
L'absinthe quant à elle, vient de revenir parmi nous telle qu'elle fut jadis, avec ses soixante-douze pour cent d'alcool. Séduira-t-elle à nouveau poètes et artistes ?
Texte : MoonCCat
Photos : Hervé Muller sur Jim Morrison's Paris